Démocratisation du luxe, erreur stratégique, nouvelle tendance, élitisme, sélectivité, rareté, internationalisation, industrialisation, maisons de luxe, singularité de l'individu
Selon une citation de Coco Chanel, « le luxe est le contraire de vulgarité ». Cette affirmation résume bien l'essence du luxe qui est un mélange d'élitisme, de sélectivité et de rareté, car le produit de luxe combine, à la fois, deux dimensions : d'une part, une dimension objective, celle de l'objet qui est vendu (le carnet, le sac, la robe, etc.) ainsi que celle du service ( le magasin dans lequel la marque est vendue, le sourire de la vendeuse, etc.) et, d'autre part, une dimension subjective incarnée par le rêve, l'image et la représentation.
Toutefois, suite à l'internationalisation et à l'industrialisation du monde du luxe, son image a bien changé depuis l'époque de Gabrielle Chanel, car il est devenu plus accessible, comme en témoigne le chiffre avancé par Célia Penavaire, dans un article du « Nouvel Économiste », où elle affirme qu'en 2001 l'industrie du luxe représentait au niveau mondial 45.73 milliards d'euros avec plus de 160 sociétés.
Selon Dubois et Laurent, depuis une quinzaine d'années, le marché du luxe n'est plus réservé à une élite puisque la plupart des achats pratiqués sont effectués par des clients que l'on peut qualifier d'occasionnels ce qui a conduit les entreprises à s'adapter en adaptant la stratégie de Jean Zorbibe, PDG de Lancel, qui a sauvé son entreprise de la faillite dans les années 1960 en rendant la marque plus fonctionnelle et plus moderne.
Selon lui, « Lancel n'est plus une marque pour privilégiés (
) car le luxe a changé : il doit être passe-partout et accessible ». En effet, suite à l'intensification de la concurrence et à la concentration du secteur qui engendrent une nécessité de rentabilité immédiate, mais aussi en raison des impératifs nouveaux du marché, les maisons de luxe se voient obligées d'élargir leur offre afin d'ajouter, à une clientèle dite traditionnelle (élitiste et sélective), une clientèle plus vaste.
Dès lors, le secteur du luxe est progressivement passé d'une logique d'offre où seul un nombre restreint de personnes était ciblé, à une politique d'offre où des professionnels du marketing étudient la demande du marché afin d'orienter la production des biens vers un marché de masse. Les maisons de luxe pourtant empreintes d'un savoir-faire artisanal se transforment graduellement en « entreprises ».
Néanmoins, cette démocratisation du luxe n'est pas acceptée par tous les acteurs du marché. Certains considèrent toujours que leur clientèle s'identifie à un noyau relativement limité et homogène de clients privilégiés qui ont érigé le luxe « en art de vivre » comme c'est le cas dans le secteur de la haute couture avec ses quelques 4000 clients répartis dans le monde. Les managers de ce marché ne voient aucune raison de changer leur politique commerciale puisqu'ils ne désirent s'adresser qu'à un type restreint de clientèle d'où des produits et des campagnes de communication identiques ainsi qu'une présence dans les points de vente et dans les médias les plus prestigieux.
A l'opposé de cette vision, se trouvent des managers qui ont observé que le marché du luxe a beaucoup évolué, car de nombreux produits et marques réservés à une élite, appelée «happy few » (heureux élus), sont aujourd'hui acquis par une clientèle plus large « happy many » (masse heureuse).
Ce courant de diffusion des produits de luxe résulte de la décision d'entreprises comme Cartier, Cardin ou Yves Saint-Laurent qui ont rendu leur offre plus accessible en proposant des accessoires « réduisant ainsi le prix du ticket d'entrée dans la marque ». Ce phénomène se retrouve aussi chez les joailliers de la place Vendôme qui ont ouvert, parallèlement à leurs magasins traditionnels, des boutiques commercialisant des bijoux moins chers, souvent destinés à un public plus jeune.
La démocratisation est une problématique capitale et décisive, car les maisons de luxe doivent préserver leur image de marque tout en élargissant leur clientèle : elles s'efforcent de créer, d'accroître et de pérenniser les marques qu'elles détiennent, sans jamais oublier qu'une marque ne peut pas s'associer à n'importe quel objet, sous peine de menacer l'ensemble de ses représentations.
Par conséquent, chaque nouveau produit présente un risque pour la gamme tout entière, d'où le danger d'une démocratisation qui soit une erreur stratégique comme ce fut le cas pour la maison Cartier avec ses « Must ». Le fait de mettre le luxe à la portée de tout le monde est risqué puisque cette stratégie peut se retourner contre les initiateurs, notamment lorsque la clientèle traditionnelle et fortunée du luxe refuse de porter la même marque que les gens du « vulgus » ( ce terme latin signifie le peuple) et ne se reconnaît plus dans l'image de la maison. Dès lors le risque encouru par ces maisons est de voir la clientèle très aisée se tourner vers d'autres grands noms pratiquant toujours cet esprit d'élitisme qui caractérise le « luxe ».
Depuis les années 1980-1990, le phénomène de démocratisation, commencé avec des précurseurs comme Hermès et Cartier, a été adopté par un grand nombre de maisons du monde du luxe pour différentes raisons. Dans le cas de Cartier, les premiers temps du mouvement de démocratisation lui ont valu un grand succès et lui ont permis de générer du profit, mais progressivement les impacts négatifs se sont fait sentir sur sa gestion : d'une part, l'entreprise est devenue plus vulnérable aux aléas de la conjoncture puisque la clientèle moyenne change fréquemment sa manière de consommer, d'autre part sa clientèle classique s'est tournée vers d'autres maisons renommées pour retrouver la rareté recherchée, pour laquelle elle est prête à payer.
Ceci amène donc à se poser la question du bien-fondé de cette démocratisation sur le long terme puisque sur le court terme ce phénomène donne d'excellents résultats : est-ce finalement une erreur stratégique ou une nouvelle tendance qui va radicalement changer l'histoire du luxe ? Une entreprise en se démocratisant risque de galvauder son image, or dans le domaine du luxe, l'image est l'élément moteur qui pousse une personne à acheter un produit plutôt qu'un autre, considérant que la marque porte des valeurs et des représentations auxquelles s'identifie ou non un consommateur.
Le défi des maisons de luxe est de ne pas créer des rêves uniformes, stéréotypés, homogénéisants mais, au contraire, de mener un combat en la faveur de la singularité de chaque individu en fonction de sa perception de la réalité, selon son éducation et son propre univers de sensation. En bref, les professionnels du luxe se trouvent confrontés à un cruel dilemme: « Vaut-il mieux vendre beaucoup à peu ou peu à beaucoup ? ».
Il est, par ailleurs, paradoxal de parler de démocratisation du luxe puisque le luxe est par essence quelque chose de rare et élitiste (sélection par l'argent notamment). Une entreprise ne prend-elle pas des risques à se lancer dans une stratégie de volume alors que par définition la production de masse n'est pas son domaine ?
Ces différentes questions alimentent le débat qui oppose les deux conceptions du luxe que j'ai décrites auparavant, néanmoins certaines grandes maisons ont adopté cette stratégie de « démocratisation » et ont réussi comme Vuitton qui se montre capable de produire des objets de luxe en masse, tout en gardant son « standing ».
Il semblerait donc que la notion de luxe soit plus dépendante du type de distribution que du volume vendu, c'est pourquoi il est important que la distribution soit sélective et internationale. Dès lors plus la marque est internationale, plus son produit est spécifique, particulier et cher, et montre que sur un marché mondial, on peut vendre de grandes quantités tout en contrôlant sa distribution et sa qualité. Ces différentes questions ont été abordées lors d'un débat organisé (23 mars 1998) par les amis de l'Ecole du management sur « Le luxe, Domaine du rêve » auquel était convié Olivier Bomsel (directeur adjoint du CERNA), Alain Bucaille (directeur général de Hermès International) et Didier Grumbach (président directeur général de Thierry Mugler).
À travers ce mémoire, je vais essayer d'apporter des réponses à ces différentes questions autour de trois axes de réflexion, afin de voir si la démocratisation du luxe est une erreur stratégique ou non.
J'ai mis en place une étude empirique pour confirmer ou infirmer mon hypothèse concernant une trop grande accessibilité des biens de haute gamme. Cette partie de recherche appliquée a pris la forme d'une étude de type quantitatif menée sur une dizaine de professionnels du luxe par le biais d'interviews en profondeur.
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Le terme "logistique" a été emprunté au domaine militaire et concerne la gestion des flux d'approvisionnement, de stockage et du transport des biens.
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